Pour prévenir toute propagation de maladies infectieuses comme Ébola, la dengue ou Zika, les chercheurs, intervenants du secteur de la santé et décideurs du gouvernement sur lesquels nous comptons pour parer aux épidémies —— ont besoin, à chaque nouvelle crise, d’en savoir davantage sur le processus de transmission. L’équipe du Dr Simon Cauchemez de l’Institut Pasteur développe des outils de pointe pour l’étude des épidémies, qui aident à mettre en lumière leurs facteurs de risque ainsi que les ressorts et les profils de leur transmission, en vue d’améliorer les mesures prédictions et les campagnes de prévention..
Le Dr Cauchemez , qui a reçu en 2014 un Prix AXA décerné par le Fonds AXA pour la Recherche, , développe des modèles mathématiques pour mieux comprendre et anticiper la propagation des maladies infectieuses. Bien que ce genre de modèles serve généralement aux prévisions à moyen terme, les chercheurs de son équipe s’intéressent davantage aux prévisions immédiates, c’est à dire à l’analyse des données issues d’une épidémie en cours — qu’il s’agisse de la grippe, d’Ébola, de Zika ou de toute autre maladie infectieuse — afin d’identifier les principaux mécanismes et d’aider à la prévention. Leurs travaux s’articulent autour de deux thèmes principaux : augmenter la rapidité d’intervention en révélant les profils épidémiques, et comprendre les mécanismes de propagation des agents pathogènes.
De l’incertitude à des estimations rigoureuses
Nombreux sont les obstacles à surmonter pour obtenir une vision claire de chaque nouveau cas d’épidémie et des risques spécifiques induits, et parmi eux les incertitudes inhérentes aux données, les échantillons biaisés, etc. Les modèles du Dr Cauchemez ont été conçus pourmieux comprendre et appréhender ces problèmes, afin d’ optimiser les prévisions. Fin 2015, par exemple, le virus Zika a attiré l’attention du monde entier, suite à une épidémie au Brésil et au lien observé entre l'infection au cours d’une grossesse et le risque d’anomalies congénitales, à savoir la microcéphalie. En l’espèce, les inconnues étaient notamment le nombre de femmes enceintes infectées et le nombre de cas de microcéphalies, qui pouvaient être uniquement confirmées sur le plus long terme. Le Dr Cauchemez s’est basé sur un jeu de statistiques recueillies au moment d’une flambée du virus Zika survenue deux années auparavant en Polynésie française. D’après l’analyse de ces données, plus nombreuses et plus précises, ses modèles ont pu établir que si l’infection se produit au cours du premier trimestre de grossesse, le risque de microcéphalie est de 1 %. Ces calculs ont grandement contribué à la compréhension de cette maladie. L’étude, publiée dans la revue The Lancet en mars 2016, représentait la première estimation du risque de microcéphalie par infection et a suscité un vif intérêt de la part des médias.
Impacts à long terme sur la transmission
L’équipe concentre surtout ses efforts sur les situations d’urgence, c’est-à-dire dès qu’une nouvelle épidémie apparaît. D’autres projets sont davantage axés sur le long terme, et s’intéressent à la manière dont la mobilité humaine ou les facteurs environnementaux affectent la transmission. Une étude sur le Chikungunya, réalisée au Bangladesh, avait révélé qu’un taux extrêmement élevé de transmission pouvait être observé dans un village, mais qu’au-delà de ses limites géographiques, le cas d’individus infectés diminuait rapidement (contrairement au scénario attendu d’une propagation massive dans l’ensemble du pays). Avec le soutien du Fonds AXA pour la Recherche, le Dr Cauchemez a pu financer une collaboration avec l’ICDDR,B, un institut de recherche sur les maladies infectieuse basé à Dhaka, afin d’étudier ce phénomène. Leurs partenaires au Bangladesh ont collecté des données sur la densité du vecteur (les moustiques porteurs du virus) et confié des dispositifs GPS aux habitants afin de suivre les déplacements des populations. Ils analysent actuellement des données à l’échelle du pays afin de vérifier l’influence de ces deux facteurs sur la transmission.
Au beau milieu de l’Océan Indien, l’île de Madagascar constitue pour le Dr Cauchemez l’écosystème idéal pour étudier les déterminants spatiaux de la maladie. En collaboration avec l’Institut Pasteur de Madagascar, il teste certaines hypothèses sur cette population insulaire — leur exposition relativement faible au virus de la grippe par rapport à l’absence potentielle d’immunité de la population. L’objectif est de comparer la propagation de la maladie entre un endroit parfaitement connecté au reste du monde, comme la capitale, Antananarivo, et celle de villages particulièrement isolés. Les collaborateurs du Dr Cauchemez ont commencé les études sur la mesure des niveaux d’anticorps dans le sang pour les différentes souches du virus de la grippe qui ont circulé au cours des cinquante dernières années. Grâce à des données sur l’âge de chacune des personnes observées, leur géolocalisation et leur exposition aux différentes souches du virus de la grippe, il sera alors possible de déterminer l’intensité des épidémies passées, déceler des tendances et observer les changements éventuels. L’équipe examinera également si la mise en place de la première connexion aérienne directe entre Madagascar et Bangkok, au début des années 2000, a eu un quelconque effet.
De nouveaux outils pour une compréhension approfondie des épidémies
Les modèles mathématiques développés et utilisés par l’équipe de Simon Cauchemez représentent des outils innovants pour l’étude des risques épidémiologiques et une compréhension approfondie des déterminants spatiaux. Leurs méthodes innovantes ne sont pas banales, explique le Dr Cauchemez, et permettent d’affiner leurs interprétations des données comme jamais. Ces analyses complexes complètent les travaux d’autres équipes de modélisation des maladies infectieuses, en permettant de mieux comprendre les facteurs liés à une épidémie spécifique, pour améliorer les stratégies d’intervention et la quantification des conséquences.
Le Dr Cauchemez nous confie que son travail est, par essence, collaboratif. Son rôle n’est pas de se rendre sur le terrain pour réaliser les études. Mais plutôt, d’accueillir d’autres chercheurs qui pourront utiliser les outils développés au sein de son équipe pour l’analyse de données épidémiologiques. Ces collaborations — avec le laboratoire de recherche ICDDR,B au Bangladesh, l’un des 32 centres du réseau international de l’Institut Pasteur (qui sont souvent situés à proximité des foyers d’ épidémies émergentes), ou même avec le Ministère de la Santé d’Arabie saoudite — offrent également à son équipe l’occasion de confronter leurs modèles avec des données de terrain.
Grâce à la subvention accordée par AXA qui lui permet de renforcer ses collaborations de par le monde, le Dr Cauchemez contribue grandement à l’amélioration des données épidémiologiques collectées. Il considère cette aide financière comme une formidable opportunité : « C’est déjà bien de pouvoir partager des données, mais c’est encore mieux de pouvoir dire “je peux financer cette étude” », et de faire en sorte que tout se déroule correctement.
Influer sur les pandémies, les personnes et les politiques
Les travaux du Dr Cauchemez sont extrêmement pertinents pour les praticiens et décideurs en santé publique aux prises, aujourd’hui, avec les risques de propagation d’une pandémie, mais aussi avec les projections dans le futur, pour les travailleurs de la santé et les résidents des zones affectées, mais aussi les voyageurs ayant besoin d’une évaluation des menaces actuelles ou potentielles dans une région donnée.
Ses recherches présentent également un intérêt certain pour le secteur des assurances et l’industrie pharmaceutique. Une entreprise pharmaceutique qui souhaiterait développer un vaccin contre le virus Zika aurait besoin d’évaluer la pertinence d’un tel investissement et de savoir si une nouvelle épidémie pourrait resurgir, sur le continent américain, au cours des dix prochaines années. Un assureur souhaiterait estimer le risque que l’épidémie atteigne l’Afrique ou l’Asie, ainsi que l’impact que cela pourrait avoir. Le Dr Cauchemez s’intéresse actuellement à ces questions.
Sur le plan politique, il conseille également l’État français sur les questions liées au virus Zika en Martinique et dans les autres territoires d’outremer. Le syndrome de Guillain-Barré est une autre complication d’une infection par le virus Zika qui atteint les nerfs périphériques. Les patients doivent être placés sous respiration assistée et, avec seulement huit respirateurs sur l’île au début de l’épidémie, le gouvernement avait besoin de savoir si ce nombre serait suffisant. Depuis, le nombre de respirateurs a augmenté.
Alors que le lien entre modélisation et politique est parfaitement établi au Royaume?Uni, le Dr Cauchemez estime que la France doit évoluer dans la même direction, afin de renforcer l’impact de ses recherches sur les décisions politiques. Pour ce faire il a commencé à travailler avec l’agence Santé publique France ainsi qu’avec les acteurs de la santé animale de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).
Dans le même temps, il poursuit ses recherches. Depuis son entrée en fonction à l’Institut Pasteur, le Dr Cauchemez a travaillé sur l’émergence du Chikungunya sur le continent américain, sur la crise Ébola, et maintenant sur le virus Zika. Ces travaux, qui se sont toujours réalisés en situation d’urgence, « ne sont pas vraiment compatibles avec la recherche de financement », explique le Dr Cauchemez. Les délais sont toujours très réduits, obligeant l’équipe à produire ses analyses en quelques mois voire quelques semaines. Les subventions traditionnelles ne sont jamais versées assez rapidement, l’obtention d’une bourse de recherche AXA nous a permis de bénéficier de davantage de flexibilité, et c’est « exactement ce dont nous avons besoin ».